Homélie du 32ème dimanche Année A

8 novembre 2020     32ème dimanche Année A

Sg 6,12-16     Ps 62     1 Th 4,13-18     Mt 25,1-13

Je pense, sans grand risque d’erreur, que vous connaissez tous cette parabole. Quand j’étais gamin, on l’appelait la parabole des vierges sages et des vierges folles. Grâce aux progrès de la psychiatrie, le mot folie a pris un sens beaucoup plus précis, si bien que de « folles », les premières jeunes filles sont devenues « insouciantes » et les autres « prévoyantes ».

Avec cette parabole, l’évangile selon St Matthieu en est arrivé au chapitre 25 qui fait partie du dernier grand discours de Jésus avant le drame de la Passion qui sera raconté à partir du chapitre 26. Du point de vue liturgique, nous approchons de la fin de l’année chrétienne : dans quinze jours, nous fêterons le Christ roi de l’univers ; dans trois semaines, nous commencerons une nouvelle année avec le premier dimanche de l’Avent. Voilà pourquoi il nous faut accueillir avec reconnaissance la dernière phrase de notre évangile : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

En lisant et relisant notre parabole, j’ai été frappé par un détail, comme cela arrive souvent quand on lit et relit un texte. Ce détail a tourné en rond dans ma tête et je me suis dit qu’il y avait certainement là une richesse à découvrir. Ce détail est celui-ci : « Au milieu de la nuit … ».

Le milieu de la nuit : ce moment particulier qui est en même temps minuit et zéro heure.

Au milieu de la nuit : moment particulier où s’achève un jour qui ne reviendra plus pour que commence un nouveau jour.

Ce milieu de la nuit qui évoque le sommeil pour celles et ceux qui ont le bonheur de pouvoir dormir. Le sommeil est présent dans la Bible depuis le mystérieux sommeil d’Adam qui laissa jaillir Eve de son côté, jusqu’au sommeil de Joseph qui accueille l’enfant né de son épouse par la grâce de l’Esprit.

Au milieu de la nuit, nous fêtons la naissance de Jésus. La liturgie utilise un verset splendide du livre de la Sagesse pour ouvrir la messe de Noël. Je cite : « Alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux, ta Parole toute puissante s’élança du trône royal. » (Sg 18,14) La Parole de Dieu s’élance vers nous depuis son trône royal ; mais, comme le dit Paul aux chrétiens de la ville de Philippe (Phi 2,6-7), le Verbe de Dieu – lui qui était l’égal de Dieu – s’est dépouillé de son rang pour prendre la condition de serviteur et devenir semblable aux hommes : et Jésus naît de Marie dans la nuit des bergers et des anges.

Au milieu de la nuit : moment particulier où, comme pour un passage de témoin dans une course, le jour qui finit transmet de manière mystérieuse la lumière au jour qui commence.

C’est au milieu de la nuit, la nuit sainte du sabbat de la fête juive de la Pâque, que Jésus passe de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière. Chaque année, le samedi saint, nous entrons dans l’église sombre, dans la nuit de la foi. Nous avançons derrière la flamme du cierge pascal qui distribue peu à peu le feu à nos cierges, et nous chantons : « Joyeuse lumière, splendeur éternelle du Père, saint et bienheureux Jésus-Christ ! »

Et voici qu’au milieu de la nuit un cri s’élève : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre. » Qui pousse ce cri ? Jésus ne le dit pas. Souvent, cette tournure impersonnelle est une forme de respect pour désigner Dieu. Si cela est exact, c’est Dieu lui-même qui nous crie : « Sortez à la rencontre de l’époux que j’ai choisi pour vous. N’ayez pas peur de la nuit : c’est la nuit de la Rencontre. » Toutes les nuits, depuis celle de la Création jusqu’à celle de la Rédemption, sont là pour nous dire : « Sortez à la rencontre de l’époux ». Sortons de nous-mêmes, sortons de notre sommeil, sortons de nos routines pour nous précipiter vers Celui qui vient vers nous. Car il vient, il ne cesse de venir depuis la nuit de Noël. Le Dieu qui est le nôtre est un Dieu qui vient, pas un Dieu qui reste caché dans son ciel.

Il vient pour des épousailles. « Dieu … a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » (Jn 3, 16) Jésus est l’époux promis au monde entier et à chacun de nous. Car la vie chrétienne n’est pas une vie de loi et de préceptes moraux : c’est une vie d’union avec le Christ. Une union dans la nuit de la foi avant qu’elle devienne totale et définitive « dans la salle de noces » du royaume.

Au milieu de la nuit, au milieu de nos nuits, la nuit du confinement, la nuit de la santé, la nuit de la solitude, la nuit de la peur, la nuit du manque de travail, la nuit des relations familiales, il est possible que nos lampes vacillent et peut-être même s’éteignent. Mais c’est dans la nuit qu’il est beau de croire en la lumière, comme l’écrit si joliment Edmond Rostand. Et même si nos lampes se sont éteintes, le Christ est venu les rallumer, et les rallumer sans cesse. Car il n’est pas venu pour condamner le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. (Jn 3,17) Pourquoi voudrait-il condamner celles et ceux qu’il vient épouser, même au milieu de leurs nuits ?

Père Jean Pierre Cazes